Phobies : grandes et petites

J’ai longtemps cru que les phobies étaient des peurs extrêmes qui bloquent la vie : comme le germophobe qui vit presque emballé pour éviter toute contamination, ou la personne incapable de prendre l’avion, même pour assister au mariage de sa sœur. Je connaissais des agoraphobes qui ne sortaient jamais. Pour moi, une phobie était un trouble si puissant qu’il pouvait priver quelqu’un des plaisirs de la vie plutôt que de l’obliger à affronter sa peur.
Du moins, c’est ce que je pensais… jusqu’à ce que je découvre que j’en avais une, toute petite.
Beaucoup de gens portent peut-être une ou deux « petites phobies » — faciles à cacher, même à soi-même. Elles semblent inoffensives, mais je soupçonne qu’elles sont souvent liées à des racines psychologiques profondes.
La mienne est apparue à l’université : je ne pouvais pas laisser mon lit défait, contrairement à ma colocataire. Pour le reste, je pouvais être désordonnée — vêtements éparpillés, papiers en vrac — mais le lit devait être fait.
Des années plus tard, j’ai compris que ce n’était pas qu’une simple préférence. L’idée même de laisser le lit défait me provoquait un malaise physique et une inquiétude difficile à supporter. Alors je le faisais toujours, partout où j’habitais. Même après mon mariage, c’est resté ma tâche.
Cela paraissait anodin, peut-être même positif. Mais à l’approche de ma retraite, j’ai commencé une psychanalyse qui a tout changé.
La thérapie m’a ramenée à mes premières années : la mort de mon père quand j’avais deux ans, sa longue maladie dans ce lit qui est resté défait après son décès, et le silence qui a suivi. Enfant, je ne pouvais pas exprimer ma peur ni mon chagrin, et ces émotions se sont fixées sur l’image du lit défait.
En revisitant ces souvenirs avec mon analyste, j’ai pu les intégrer pleinement, et la peur a disparu. Seule la routine est restée. Aujourd’hui, je peux laisser le lit défait sans ressentir ce malaise, même si je continue souvent à le faire par habitude.
Cette expérience m’a appris que même les peurs les plus « insignifiantes » peuvent refléter des émotions profondes du passé. Suivre leur trace peut mener à une réelle libération.
Le soir où j’ai terminé ce récit, j’ai laissé le lit défait — et je me suis simplement glissée sous les couvertures pour dormir.